Dans la plupart des organisations que j’accompagne, on parle de valeurs, de vision, de stratégie. On anime des séminaires, des ateliers, des plans d’action.
Mais très vite, je repère autre chose.
Un détail qui fout tout en l’air.
Un bruit de fond que personne ne nomme.
Un chaos linguistique.
Pas dans la langue française.
Dans la langue de l’entreprise.
Chacun dit “priorité” mais entend autre chose.
Chacun dit “transparence”, mais attend autre chose.
Chacun dit “vision”, “pilotage”, “engagement”… mais personne ne les vit pareil.
Résultat :
on croit se comprendre.
Mais on ne s’écoute pas.
Et surtout : on n’agit pas à partir du même référentiel.
Votre organisation a-t-elle une grammaire partagée ?
Une organisation n’est pas une machine.
C’est une communauté de sens.
Et comme toute communauté, elle a besoin d’un langage commun.
Pas une charte graphique.
Pas une base documentaire.
Pas une usine à process.
Une grammaire.
C’est-à-dire :
– un lexique partagé,
– des accords implicites,
– une syntaxe d’action,
– une conjugaison des rôles.
Une grammaire d’organisation, c’est ce qui fait que vos équipes peuvent bouger ensemble sans se marcher dessus.
Et quand elle manque, vous compensez.
Par des réunions.
Par des slides.
Par du contrôle.
Vous croyez avoir clarifié, vous avez juste verbalisé
Le nombre de fois où j’entends :
“On l’a déjà dit, pourtant !”
“On avait acté ça.”
“C’était clair pour tout le monde…”
Non.
Vous l’avez dit,
mais chacun l’a entendu à sa façon.
Et dans une organisation, ce flou coûte cher.
Parce que l’action repose sur des mots,
et que des mots flous produisent des décisions fragiles.
Un exemple :
Si vous dites “on donne plus d’autonomie” mais que vous ne définissez jamais ce que ça veut dire concrètement dans vos cycles de validation, dans vos marges de manœuvre, dans vos feedbacks…
vous ouvrez une porte vers des malentendus à haut potentiel toxique.
Une grammaire d’organisation, ce n’est pas une norme
Je ne parle pas ici de tout standardiser.
Je parle d’outiller la compréhension mutuelle.
De créer un socle de langage qui facilite l’action collective.
Pas un dictionnaire.
Pas une police du langage.
Mais un cadre vivant, évolutif, qui aide les gens à :
– savoir comment décider,
– savoir comment arbitrer,
– savoir comment réagir à un imprévu,
– savoir ce qu’on valorise ici (et ce qu’on ne tolère pas).
C’est subtil.
Mais quand ça manque, c’est le bordel.
Et quand ça existe, tout s’aligne.
Quelques symptômes d’une grammaire absente
Si vous voyez ça, il est temps d’agir :
- Les mêmes mots sont utilisés dans tous les sens (ex : “pilotage”, “vision”, “responsabilité”, “engagement”).
- Les décisions sont interprétées différemment selon les équipes.
- Le terrain dit : “on ne comprend pas où vous voulez en venir”.
- Le Codir dit : “ils n’ont pas compris ce qu’on a décidé”.
- Les rôles se chevauchent, les zones grises s’étendent.
- Les réunions se répètent parce que “ce n’était pas clair”.
Et pourtant… vous avez des process
Justement.
Les process ne suffisent pas.
Ils décrivent ce qu’on fait.
Mais pas comment on le fait ensemble.
Pas ce qui fait culture.
Pas ce qui fonde la confiance dans l’action.
Une grammaire, c’est ce qui permet à un cadre et à un agent de terrain de se comprendre sans avoir besoin d’un PowerPoint.
C’est ce qui fait que le langage porte l’action, au lieu de l’enfermer dans des procédures.
Concrètement, comment on la construit ?
Je vais être clair : ce n’est pas un document.
Ce n’est pas une “charte”.
C’est un travail progressif, souvent initié dans un temps collectif, puis nourri dans la durée.
Voici ce que je mets en place avec les organisations qui veulent vraiment avancer.
1. Identifier les mots clés de votre maison
Commencez par les mots que vous utilisez tout le temps.
Et que tout le monde emploie… sans les vivre pareil.
Chez vous, ça peut être :
- Vision
- Responsabilité
- Client
- Qualité
- Leadership
- Autonomie
- Coopération
- Engagement
Faites-les remonter. Sans filtre.
Et écoutez : qui y met quoi ?
Je vous garantis des surprises.
2. Explorer les pratiques réelles
Ce que vous dites n’a de valeur que si ça se vérifie.
Donc, confrontez les mots à vos gestes.
Quand vous dites “confiance”, qu’est-ce qui le prouve ?
Quand vous dites “leadership”, qui l’incarne vraiment ?
Quand vous dites “agilité”, qu’est-ce que ça produit (ou pas) dans les choix concrets ?
C’est dans ces frictions entre langage et vécu que la grammaire commence à émerger.
3. Nommer les accords implicites
Beaucoup de règles sont tacites.
“On ne contredit pas le DG en réunion.”
“On ne prend pas la parole si on n’a pas de solution.”
“On ne fait pas de mail le vendredi soir… sauf si c’est urgent.”
Ces accords existent déjà.
Mais tant qu’ils sont non nommés, ils agissent en sous-main.
Le rôle d’un facilitateur ici, c’est de faire remonter ces accords.
Les mettre à plat.
Et surtout : les questionner.
4. Formuler des principes d’action
Une fois les mots posés et les pratiques repérées, on peut formuler des principes d’action.
Par exemple :
- “Nous préférons un arbitrage clair plutôt qu’un consensus mou.”
- “Tout désaccord doit pouvoir s’exprimer dans un cadre sécurisé.”
- “Un non-dit coûte plus cher qu’un désaccord explicite.”
Ce sont des lignes de code.
Des fragments de langage qui orientent les comportements.
Pas des slogans. Des balises.
5. Rendre visible, sans figer
À ce stade, il faut matérialiser la grammaire, sans la graver dans le marbre.
Un mur des mots-clés.
Un recueil vivant d’exemples.
Une base de cas concrets à revisiter en collectif.
Et surtout : des moments pour la faire évoluer.
Parce que ce qui était juste il y a un an ne l’est plus toujours aujourd’hui.
Ce que ça change, vraiment
Quand une organisation construit sa grammaire, elle se transforme.
Pas juste sur la com’.
Sur le fond.
Voici ce que j’observe concrètement :
- Les réunions sont plus courtes, mais plus puissantes.
- Les feedbacks sont plus fluides, car les règles sont connues.
- Les décisions sont prises plus vite, avec moins de crispation.
- Les conflits sont mieux traités (et moins évités).
- L’engagement devient naturel, pas forcé.
Parce que le langage porte.
Et quand il est commun, l’organisation respire.
Une grammaire, c’est un levier stratégique
Je vais le dire autrement :
sans grammaire, pas de stratégie vivante.
Vous pouvez avoir une vision brillante, des objectifs ambitieux, des talents de haut niveau…
Mais si personne ne sait comment parler, décider, arbitrer, coopérer, alors tout se grippe.
À l’inverse, une organisation avec une grammaire claire, évolutive, partagée,
peut traverser des crises, pivoter, grandir… sans s’effondrer en interne.
Ça commence souvent… par un séminaire
Je le vois dans 80 % des cas :
la première fois qu’on parle “vraiment” de cette grammaire,
c’est en séminaire.
Parce qu’on sort du cadre.
Parce qu’on ose poser les vrais mots.
Parce qu’on prend le temps de clarifier ce qu’on croyait “déjà clair”.
Mais le séminaire n’est que le point de départ.
Il faut ensuite traduire ça dans le quotidien.
Et c’est là que l’accompagnement compte.
Parce qu’on ne change pas un langage en une fois.
On l’ajuste. On l’affine. On le vit.
En conclusion (mais sans conclusion)
Vous avez probablement déjà des valeurs.
Des process. Des rôles.
Mais si vous n’avez pas une grammaire partagée,
alors vous parlez dans le vide.
Construire une grammaire d’organisation, ce n’est pas du luxe.
C’est du fonctionnement sain.
C’est du respect collectif.
C’est de l’alignement incarné.
Et c’est surtout…
ce qui vous permettra de tenir ensemble quand les tensions monteront.
Parce que là, les mots compteront.
Et vous saurez lesquels dire.